23 août 2006

 

Université d’été d’Attac – 2006

Intervention de Ségolène Royal,
Présidente de la Région Poitou-Charentes



Bonjour à toutes et à tous.

Je suis très heureuse que vous ayez à nouveau choisi le Poitou-Charentes pour y tenir votre Université d’été. Bienvenue, donc, dans notre Région.


J’espère que la densité de votre programme vous permettra quand même de goûter à quelques unes des nourritures terrestres qui font la fierté de nos territoires et motivent notre soutien à l’agriculture biologique, à ses savoir-faire, à ses produits de qualité. Vous connaissez notre opposition aux essais d’OGM en plein champ : elle ne procède naturellement d’aucun obscurantisme hostile à la science mais d’un principe de responsabilité à la fois alimentaire et économique. C’est pourquoi la Région a soutenu tous les maires qui ont pris des arrêtés en ce sens, que le Préfet de Région a immédiatement déférés au Tribunal Administratif… Dans ce domaine comme dans d’autres, la droite, qui diffère d’année en année la transposition d’une directive européenne de bon sens, préfère malheureusement le culte du secret au choix de la transparence. Pourtant, de nos jours, la candeur scientiste du 19ème siècle n’est plus de mise et la vraie modernité consiste à se poser à temps les bonnes questions en n’abandonnant pas aux experts et aux lobbys le monopole de décisions qui concernent toute la société.


C’est parce que nous croyons, nous, aux vertus salutaires du débat démocratique que la majorité régionale de gauche, qui rassemble les socialistes, les communistes, les radicaux de gauche et les Verts, a choisi d’apporter comme l’an passé, une aide financière à vos journées. Car les travaux d’Attac participent de cet effort de réflexion dont l’action politique a tant besoin si elle ne veut pas s’enliser dans les pratiques routinières et l’oubli de ses fins.


Comme l’an passé, la droite régionale a voté contre. Pas de surprise de ce côté-là et, d’une certaine manière, on les comprend : pourquoi s’encombrer de questions dérangeantes quand on croit qu’il suffit de faire comme on a toujours fait et de laisser, au bout du compte, l’économique dicter sa loi au politique ? Ou plus exactement : une certaine conception de l’économie peu conforme à l’intérêt bien compris du pays.


Il est normal que nous ayons, à gauche, plus d’appétence pour la pensée critique car comment fortifier et affûter une ambition transformatrice en phase avec les attentes des citoyens sans commencer par s’affranchir des conformismes ambiants ? Comment agir avec justesse et efficacité dans un monde incertain sans accepter la pluralité des approches et la confrontation des points de vue ? Comment lutter contre le désordre des choses et la naturalisation des inégalités sans s’opposer aux idéologies de la résignation qui s’emploient à les justifier ?



La plus en vogue conclut à l’inéluctable réduction du champ d’action de la politique et des marges de manœuvre de la puissance publique. Telle serait, nous dit-on, la rançon de la globalisation financière avec ses capitaux nomades, son hyperclasse mondialisée ayant largué les amarres, ses salariés forcément jetables, sa déliaison sociale généralisée et son accélération exaltante du changement pour le changement. Un système sans centre et sans visage donc sans responsables identifiés dont nous ne voulons pas. Typique de cette irresponsabilité : en pleine vague de licenciements, un dirigeant d’ATT a pu oser cette phrase : « les gens devraient comprendre que nous sommes tous des travailleurs contingents »..



Cette rhétorique de la défaite du politique doit être combattue pour ce qu’elle est : un mensonge et l’alibi de l’irresponsabilité. Non, la politique n’est pas condamnée à n’être que cette profession supplétive chargée de déréguler tout ce qui fait obstacle à la voracité d’un marché tout-puissant, de faciliter toujours plus la vie des possédants et de mettre au pas les laissés pour compte ou les récalcitrants. Non, l’avenir n’est pas à l’Etat minimal. Non, la politique ne se réduit pas, au mieux, à une « gouvernance » aseptisée qui, sous prétexte de réalisme, entérine les rapports de forces existants et notamment le déséquilibre croissant entre le capital et le travail.



Il suffit de regarder l’état du monde et de la France : jamais on n’a eu autant besoin de politique capable d’imposer des règles justes, un ordre social juste, et de remplacer par des sécurités durables les désordres et les anciennes protections mises à mal.

La volonté et le courage politique ne sont pas des vertus obsolètes mais les qualités absolument nécessaires pour reprendre la main, pour faire obstacle à la marchandisation généralisée, pour garantir le libre accès de tous aux biens communs, pour orienter la production de richesses dans le sens de l’intérêt général, pour redonner aux citoyens et aux peuples la capacité de peser sur leur destin collectif dans un contexte d’interdépendance accrue où nul ne peut espérer tirer seul son épingle du jeu et où la surenchère des égoïsmes mène à la catastrophe collective. Faute de quoi les inégalités qui se creusent, les injustices et les humiliations ressenties, causes premières de toutes les violences, le désespoir et le ressentiment qui en résultent, la hantise de la chute et les paniques identitaires attiseront cette brutalisation du monde dont la guerre de tous contre tous sera l’aboutissement ultime.



Je m’en tiendrai à la France : de tout cela, nos concitoyens sont conscients et inquiets. Loin d’être indifférents à la politique quoique souvent déçus par elle et rendus méfiants par beaucoup de promesses non tenues et d’abandons vécus, je crois qu’ils nourrissent cependant une attente et une demande de politique qu’il ne faut pas sous-estimer.



C’est une demande de sens et de compréhension d’un monde où les repères d’antan, à commencer par ceux relatifs au travail, semblent s’effondrer l’un après l’autre. La première tâche de la gauche, c’est de proposer une lecture cohérente et partageable de cette « grande transformation » qui ne se borne pas aux métamorphoses du marché et à la financiarisation de l’économie, à la flexibilisation du travail et au règne angoissant du court-termisme mais n’épargne désormais aucun domaine de l’existence, bouleverse les modes de vie, les rapports de l’individuel et du collectif (cf. pessimisme collectif/optimisme individuel), brouille les représentations de l’avenir et correspond, sur fond d’incertitudes grandissantes, à une véritable mutation anthropologique ou civilisationnelle.



L’action politique peine encore à en prendre la mesure. Il est pourtant urgent d’actualiser notre grille de lecture, de porter un regard neuf et sans œillères sur des situations pour partie inédites. Pour cela, il ne faut pas craindre d’en revenir aux raisons qui précèdent les façons et aux valeurs qui les inspirent. La vraie modernité, ce n’est pas de coller à l’air du temps, c’est parfois de prendre le recul qui permet de changer d’angle et de s’arracher à la paralysie des oppositions convenues là où il faudrait, au contraire, relier, renouer ensemble pour retrouver des marges d’invention et d’action. Comment, par exemple, conjuguer plus de liberté et plus de solidarité car bien souvent l’une est la garantie de l’autre et nos concitoyens aspirent à l’une comme à l’autre ? Ou comment mieux articuler le mérite et l’égalité ?



Première tâche donc : donner un sens au présent, poser les mots justes sur les changements subis, les difficultés vécues et l’espoir d’autre chose qui est la raison d’être de l’action politique. Cela peut vous sembler abstrait, ce n’est pas un catalogue de mesures, mais je crois que c’est en réalité très concret car il s’agit de construire une intelligence collective des mutations en cours qui fasse place à l’expérience sensible de chacun. L’action politique souffre, à ce niveau, d’une crise des résultats qui exaspère les Français et nécessite qu’on partage avec eux le temps du diagnostic et celui des propositions si l’on veut agir juste.



Face à la casse sociale de la droite, au désengagement de l’Etat, à la fragilisation systématique des protections sociales, aux coups portés aux services publics, à la précarisation et à l’insécurisation salariale, à l’écrasement du pouvoir d’achat, à la ghettoïsation et aux ségrégations qui fragmentent le pays, cette demande d’un retour du politique au poste de commande est forte.



Les Français veulent y voir clair sur ce qui bouge et sur ce qui perdure. Ils veulent savoir au nom de quelles valeurs il est possible d’agir. Ils attendent de ceux qui briguent l’honneur de les représenter qu’ils fassent quelque chose du pouvoir qu’ils leur confient. Entre le sentiment d’impuissance qui les assaille et ce désir d’une politique qui joue pleinement son rôle, nos concitoyens balancent et c’est à la politique par la preuve, comme je le dis souvent, d’emporter leur conviction qu’autre chose est possible.



Une Région, ça ne peut pas tout mais ça peut beaucoup si on en a la volonté, s’il y a à sa tête une majorité de gauche déterminée, unie et respectée dans sa diversité. Notre Région agit sans craindre d’aller au-delà des seules obligations légales qui lui incombent. Nous avons fait le choix d’apporter des résultats concrets qui changent quelque chose dans la vie quotidienne et d’administrer la preuve que la puissance publique n’est pas désarmée. De préfigurer un autre possible à l’échelle de tout le pays. D’associer les citoyens aux décisions qui les concernent : nous disons « partager les décisions pour prendre les bonnes ».



C’est tout le sens du Budget Participatif des Lycées que nous avons créé en 2005, comme nous en avions pris l’engagement, et que nous sommes à ce jour la seule Région à mettre en pratique. Je vous en avais parlé l’année dernière : des décisions démocratiquement délibérées par toutes les composantes de la communauté éducative (élèves, personnels enseignants et non enseignants, parents) au fil de près de 200 réunions dans nos 93 établissements, des choix votés dans les lycées, respectés et financés par la Région à hauteur de 10 millions d’euros par an, une réponse en temps réel aux attentes sur le terrain et aussi, en retour, une transformation des pratiques de l’administration régionale et un levier d’amélioration de la qualité du service public. Une petite révolution culturelle et plus d’efficacité à la clef. Une source d’inspiration, aussi, pour nos politiques en direction des jeunes : je pense en particulier à la force avec laquelle, lors de ces réunions, s’est exprimée une demande de culture dans les lycées. Elle nous a conduits à implanter cette année dans chaque établissement un poste d’animateur culturel pour aider les lycéens à monter et mener à bien des projets dans ce domaine : une dimension forte, désormais, de la vie lycéenne et un nouveau métier, de nouveaux emplois créés pour mieux répondre à ce besoin. C’est cela, pour moi, la démocratie participative : des usagers du service public décidant de l’usage des fonds régionaux, des contribuables décidant de l’utilisation de leurs impôts. Que n’avons-nous pas entendu lorsque nous avons lancé cette démarche novatrice ! Cela ne pouvait pas marcher, c’était inutile de demander aux élèves leur avis sur leurs attentes : elles étaient déjà bien connues, etc. etc. Ca marche et c’est l’occasion de découvrir beaucoup de besoins jusque là inaperçus, comme l’ont reconnu les équipes de direction des établissements à l’occasion des discussions et des votes du Budget Participatif.



Pour l’emploi, nous avons mobilisé toutes les touches du clavier à notre disposition (nos compétences en matière de formation et de développement économique) et inventé de nouveaux outils qui pourraient, demain, être généralisés à l’échelle nationale :

- des bourses tremplins régionales pour celles et ceux qui veulent créer leur activité et leur emploi (plus de 2000 projets de micro-entreprises ont ainsi été aidés). En regardant le détail des premières attributions, je me suis aperçue que les jeunes des quartiers populaires n’en faisaient pas partie : l’information n’était pas parvenue jusqu’à eux ou, quand c’était le cas, ils n’osaient pas franchir le pas ; nous avons décidé que c’était à la Région d’abolir la distance et d’aller vers eux pour qu’ils puissent, eux aussi, bénéficier d’un dispositif dont ils pensaient qu’il n’était pas fait pour eux. Nous avons aujourd’hui une tente itinérante qui fait étape dans les quartiers et rend effectivement accessible à tous l’aide apportée par la Région ;

- une charte d’engagement signée par les entreprises destinataires de subventions régionales et par laquelle elles s’engagent à ne pas délocaliser et à ne pas licencier tant qu’elles font des bénéfices (832 emplois créés) ; par ailleurs, la Région ne finance pas celles qui recourent à des emplois précaires (CNE) ;

- le développement des éco-industries et le soutien aux activités porteuses d’emplois d’avenir ;

- le soutien à l’apprentissage (doublement du nombre des places, renforcement de la qualité de la formation, extension de la formation en alternance à l’enseignement supérieur) et le paiement du permis de conduire à tout élève réussissant son CAP, afin que plus un jeune ne sorte du système scolaire sans diplôme et sans métier ; ceci, bien sûr, dans le cadre du respect de la scolarité obligatoire jusqu’à 16 ans et non, comme l’avait proposé le gouvernement, de cet apprentissage à 14 ans auquel nous sommes totalement opposés ;

- la création de bourses jeunes chercheurs avec contrat de travail pour supprimer la précarité du statut des jeunes chercheurs doctorants, résultat du désengagement de l’Etat et de la paupérisation de la recherche dans notre pays qui conduisent à une désastreuse fuite des cerveaux à l’étranger (200.000 chercheurs européens sont expatriés aux Etats-Unis) ; l’investissement dans la recherche et l’innovation est une clef majeure de la croissance et des emplois de demain et d’après-demain, dramatiquement délaissée par le gouvernement : c’est ce qu’à notre échelle, nous nous efforçons de compenser ;

- la création de 3000 emplois tremplin pour les jeunes (dans les associations et les entreprises) sur les 5000 prévus durant la mandature ;

- le recrutement d’un animateur culturel par lycée, dont je vous parlais en évoquant le Budget Participatif ;

- le soutien à l’emploi des femmes de plus de 50 ans ;

- le soutien au micro-crédit et à l’économie solidaire, une dimension très importante de la création et de la reprise d’entreprises par leurs salariés, sous forme notamment de coopératives ouvrières de production, que nous traitons comme une filière économique à part entière ;

- et enfin, la préfiguration à l’échelle régionale de ce que pourrait être une véritable sécurité sociale professionnelle nationale avec la création d’un compte formation universel qui rend effectif le droit à la formation continue tout au long de la vie et permettra d’assurer la continuité des parcours professionnels sans passer par la case chômage ; nous l’avons conçue à l’occasion de l’annonce d’un plan de licenciements très lourd dans notre Région et nous nous sommes beaucoup mobilisés pour y arriver ; c’est une démarche inspirée de ce que j’avais pu observer lorsque je suis allée en Suède et dont j’avais discuté avec l’ancien Premier Ministre socialiste qui a créé au Danemark un dispositif pionnier de sécurisation des parcours professionnels.



Ces efforts convergents ne sont pas étrangers au fait que la Région Poitou-Charentes arrive, dans le dernier classement réalisé, en tête de toutes les Régions pour les créations d’emplois. (+ 13,5%). Ils montrent que l’on peu conjuguer l’efficacité économique et l’efficacité sociale, la lutte contre la précarité et la performance des entreprises, le soutien à leur dynamisme et l’instauration de règles justes dans une perspective gagnant-gagnant.



C’est avec la même volonté d’inverser le cours des choses que nous voulons faire de notre Région un exemple d’excellence environnementale et nous engager, en dépit des politiques nationales timorées de la droite et de l’absence de fiscalité environnementale réellement incitative, dans la préparation de l’après-pétrole. Nous agissons en direction des particuliers, des collectivités et des entreprises pour les inciter et les aider à se convertir aux énergies renouvelables en finançant l’implantation de chauffe-eau solaires (taux d’équipement 2 fois supérieur à la moyenne nationale), de capteurs photovoltaïques, de chaudières à bois, de récupérateurs d’eau, en épaulant le développement des agro-carburants (site pilote, alternative à l’agriculture intensive) et de l’énergie éolienne, en appliquant à la construction d’un nouveau lycée sans énergie fossile le principe « zéro pétrole », en soutenant un réseau des éco-industries que nous avons mis en place avec tous les acteurs du secteur (chercheurs, entreprises, etc.) et promouvant l’utilisation d’huile végétale dans les engins des agriculteurs.



Je suis, j’ai déjà eu l’occasion de le dire, ardemment attachée à une transformation radicale de notre aide au développement dont les montants font honte à la France et dont l’efficacité est loin d’être optimale. Les actions de coopération avec des pays du Sud dans lesquelles la Région est engagée procèdent d’une autre démarche : priorité aux circuits courts et aux relations de réciprocité entre acteurs de terrain d’ici et de là-bas sur la base d’un échange entre partenaires et d’un apport réciproque. Nous avons en effet autant à apprendre d’eux qu’à leur apporter et il est temps de débarrasser les relations de coopération de ces relents de néo-colonialisme qui, aujourd’hui encore, les imprègnent parfois.



Nous le faisons dans la région du Tamil Nadu en Inde, touchée par le tsunami mais délaissée par l’aide internationale, en partenariat avec des ONG locales, en combinant micro-crédit, formation et soutien scolaire, activités porteuses de revenus réguliers et d’autonomie pour les femmes, réhabilitation des terres rendues impropres à la culture par le sel marin, création d’activités agricoles, implantation de systèmes de stockage et de distribution d’eau potable dans les villages, production d’électricité à partir de biogaz, gestion des déchets, par le biais d’une démarche de démocratie participative fondée sur la reconnaissance de la capacité d’expertise des habitants.



Eco-industries, culture et coopération sanitaire au Vietnam, collaboration autour de la filière caprine au Sénégal et de la production ostréicole au Brésil, toutes les actions que nous menons sont fondées sur la conviction que l’efficacité et la solidarité supposent autre chose que le point de vue d’experts plus ou moins lointains, l’imposition non négociable des technologies du nord ou l’unilatéralisme des bons sentiments : des projets bâtis ensemble, l’implication des populations et des acteurs locaux car il s’agit des moyens de leur autonomie, une échelle territoriale permettant d’échapper à la crise des résultats de nombre de coopérations inter-étatiques.



Tel sont notre état d’esprit et notre manière d’agir, fondés sur la conviction que les citoyens ont une capacité d’expertise légitime et doivent prendre plus directement part aux décisions qui les concernent pour que l’action publique soit forte de cette intelligence collective et réponde plus efficacement à leurs attentes.



Je vous remercie et je vous souhaite de très bons travaux.

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