15 juin 2006

 

Le discours sans tabou d’une candidate populaire

Challenges.fr | 15.06.2006

par Robert Schneider

Politique : A lire, dans le texte, les propositions de Ségolène Royal, elles sont vraiment de gauche, et rassurantes pour la France « fragile ».


Trente-quatre lignes ! Il a suffi de trente-quatre lignes de Ségolène Royal sur les 35 heures pour achever de mettre le feu au PS ! Il est vrai qu’elles ont été rendues publiques peu après ses propositions ­iconoclastes sur la sécurité et peu avant la présentation du projet socialiste. Ce court passage du deuxième chapitre de son livre « interactif » consacré aux « désordres de l’emploi et du travail » rompt avec le discours officiel du PS.

Vraie critique de gauche
Elle n’hésite pas à mettre l’accent sur les aspects négatifs de l’une des mesures emblématiques du gouvernement Jospin, considérée par les socialistes et par une majorité de Français comme une conquête sociale. Pas ceux avancés par la droite et les libéraux, qui rendent les 35 heures responsables de la dépréciation du travail.Non, ce que Ségolène Royal leur reproche, c’est d’avoir « été conçues davantage comme un outil de création d’emplois [350 000] que comme l’aboutissement d’une réflexion sur les conditions de travail ». C’est leur contrepartie : « Un spectaculaire assouplissement du droit du travail et une flexibilité accrue » qui a fait passer « la proportion des salariés à horaires flexibles de 10 à 40 %, soit plus que les salariés américains ». C’est enfin et surtout l’inégalité « des efforts et des gains : c’est essentiellement au bas de l’échelle des qualifications et des statuts que la flexibilité a été accentuée. […] D’où ce résultat non voulu : une dégradation de la situation des plus fragiles . » A ceux qui, au PS, l’accusent de dérive droitière, elle répond donc par une critique de gauche des 35 heures, qui ont contribué à couper les socialistes de leurs électeurs des classes populaires.

Dérives du capitalisme
Alors, s’est-on trompé sur Ségolène Royal ? A-t-on mal lu son hommage à Tony Blair, début février, dans le Financial Times ? Non, mais ceux qui en ont déduit qu’elle était so­ciale-libérale n’ont retenu que partiellement ses propos. Si elle a ­regretté que le Premier ministre britannique soit caricaturé par les socialistes français, si elle a reconnu qu’il avait obtenu, face au chômage des jeunes, de vrais succès en recourant à plus de flexibilité et à plus de sécurité, elle a surtout mis au crédit de Tony Blair de « réinvestir dans les services publics » .
Ceux qui tireraient de son chapitre sur l’emploi – très sévère sur le modèle capitaliste actuel – la conclusion qu’elle reste au fond une socialiste archaïque commettraient la même erreur. Elle ne croit certes pas aux « vertus naturelles » du marché. Elle déplore que l’économie ait pris « un temps d’avance sur le politique » . Elle raille ceux qui affirment que « la forme actuelle de l’économie serait l’horizon indépassable de l’humanité » et soutient au contraire que « ce discours de la [fausse] modernité est en réalité d’un archaïsme confondant ».
Mais pour condamner cette dérive du capitalisme, notamment la financiarisation de l’économie, elle ne convoque pas Marx. Elle s’appuie sur Claude Bébéar, président du conseil de surveillance d’Axa, qui dénonce « une économie de type Far West » . Ou sur Patrick Artus, qui s’interroge : « Le capitalisme est-il en train de s’autodétruire ? » Pour brocarder les fonds de pension qui contrôlent 40 % des actions mondiales, elle cite Jean Peyrelevade : « Ils polluent par pure cupidité la légitime volonté d’entreprendre. » Pour démontrer qu’une stratégie juste fondée sur le moins-disant salarial est le plus souvent perdante, elle s’appuie sur une enquête du MIT.

Le modèle scandinave, aussi
Malgré ce réquisitoire, Ségolène Royal reconnaît que « toutes les alternatives à l’économie de marché ont échoué. Le problème n’est donc plus de savoir par qui remplacer le marché mais comment l’organiser […]. Comment, sans nostalgie dirigiste ni fantasme d’économie administrée, remettre chaque chose à sa place : l’économie dans sa fonction, qui est de satisfaire les besoins et les aspirations humains, et la politique dans son rôle, qui est de garantir le bien commun . » Elle admet qu’il peut y avoir des facteurs de progrès dans la libre concurrence et des effets positifs dans la mondialisation à condition que « leurs effets pervers soient corrigés » .
Comme DSK, Lang ou Hollande, elle s’inspire du modèle scandinave : les entreprises ont besoin d’ « agilité » – mot qu’elle emploie pour flexibilité –, les salariés, de sécurité et de dignité, avec des formations personnalisées lorsqu’ils sont au chômage, la société, de dialogue entre par­te­naires sociaux avec l’aide de l’Etat, garant de l’intérêt général. Dans ce chapitre diagnostic, Ségolène Royal dessine un programme compatible avec le projet socialiste.
Sa différence est dans sa façon de dire les choses, de prendre en compte la réalité, de bousculer les vieilles tables de la loi socialiste, de lancer le débat, de faire bouger les lignes. Elle impose une méthode : provoquer pour lancer le débat et occuper le terrain. Un style : parler vrai, sans tabou. Une stratégie : reconquérir l’électorat populaire qui a si cruellement fait défaut à Lionel Jospin en 2002. Une attitude : afficher sa liberté. C’est déjà cela, le changement.

source:
http://challengestempsreel.nouvelobs.com/france/chall_23607.html

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