01 juin 2006

 

La gauche et l’économie


Ségolène Royal Retrouvez l'intégralité du débat avec Ségolène Royal.
Au vu des sondages, Ségolène Royal serait la seule personnalité de gauche à pouvoir battre Nicolas Sarkozy lors de l'élection présidentielle de 2007. Mais, derrière le " phénomène Royal ", quelles idées, quel programme ? Emploi, fiscalité, pouvoir d'achat, compétitivité, innovation, patriotisme économique… sur quelle voie la candidate socialiste virtuelle entend-elle conduire les Français ?

ddussapt : La seule rupture nécessaire et ambitieuse qui s'impose au pays depuis longtemps, c'est le plein emploi. Pensez - vous que des mesures revisitées comme l'amélioration du pouvoir d'achat, la relance des exportations, les incitations aux entreprises ou le développement de la recherche permettraient d'atteindre cet objectif ?

Ségolène_Royal : D'abord bonjour à tous et merci d'être présents, nombreux, à ce dialogue en ligne.

Ségolène_Royal : Ce qui est évident, c'est que la plus forte attente des Français à l'égard des dirigeants, c'est la lutte contre le chômage. Cette exigence dépasse aujourd'hui toutes les autres. D'autres pays d'Europe ont réussi à baisser leur taux de chômage en dessous des 5 %. C'est donc possible d'y parvenir. Les leviers que vous évoquez doivent être tous utilisés. J'en vois un autre qui peut être très efficace, c'est la mobilisation des régions autour de l'effort de formation professionnelle et d'investissement dans les innovations. Le problème du chômage ne vient pas d'une stagnation de l'offre d'emplois, puisque 10.000 emplois nouveaux se créent chaque jour en France. Sans parler des départs à la retraite, qui libèrent des emplois. Ce qui empêche les chômeurs et les secteurs en pénurie de se rencontrer, c'est d'abord l'inadéquation de la qualification des chômeurs aux besoins des employeurs potentiels. Et ce problème ne peut se régler qu'en grande proximité avec les bassins d'emploi, donc au niveau des régions qui maîtrisent les financements de la formation professionnelle.

santiago : Pensez vous, Madame, que le marché français du travail doit être flexibilisé ? Comment lutterez vous contre le chômage sans précariser l’emploi ?

Ségolène_Royal : Je pense que c'est la demande d'emploi qui doit faire preuve d'agilité, car c'est la rigidité de la formation initiale et continue, d'une part, et la rigidité du système d'accompagnement des demandeurs d'emploi, d'autre part, qui créent le chômage structurel. Je voudrais illustrer ce propos par 2 exemples : 1/ On compte aujourd'hui 246.000 étudiants dans la filière "sciences humaines", contre seulement 107.000 dans la filière "formation d'ingénieurs", dont l'industrie manque pourtant cruellement. 2/ Le budget annuel de l'ANPE est de 2 milliards d'euros, à comparer aux 800 millions de dollars par an (650 millions d'euros) que dépense le leader mondial des offres d'emploi par internet pour publier en ligne 46 millions de candidatures et collecter les offres d'emploi de 3 millions d'entreprises clientes. Donc il faut une réforme profonde de l'ANPE pour lui demander d'assurer une politique volontariste d'adaptation des qualifications aux besoins des entreprises, accompagnée d'un plan de formation obligatoire qui ouvre droit au maintien du salaire en cas de perte d'emploi. C'est ça, la sécurisation ! Il n'y a aucune fatalité à la puissance politique face au chômage. Je suis convaincue qu'un cercle vertueux est possible en France, au prix d'une mobilisation des collectivités locales, d'une refondation des services chargés de l'emploi et d'un renforcement d'un dialogue social par branche et par bassin d'emploi.

jmn : 10.000 emplois nouveaux par jour... ? Combien en moins ???

Ségolène_Royal : A peu près autant. C'est bien le problème, car si les formations professionnelles et les compétences permettaient de raccourcir le délai du passage d'un emploi à un autre, le chômage baisserait. Avec un solde positif du fait des départs à la retraite. Et parce que la dynamique de l'emploi fait que, dès que les nouveaux emplois sont pourvus, il s'en crée automatiquement d'autres.

francoisegovare : J'ai 50 ans, beaucoup de diplômes, une jolie carrière en France et à l'étranger dans le marketing… Mais, en France, je suis trop vieille, selon les chasseurs de tête. Comment lutter ? Légiférer, faire évoluer les mentalités, faire des contrats spécifiques ? Quelles sont vos idées, vous qui êtes dans cette tranche d'âge ?

Ségolène_Royal : La France présente cette absurde caractéristique d'avoir le taux de chômage des jeunes le plus élevé et le taux des plus de 50 ans le plus élevé également, c'est à dire un immense gaspillage aux deux extrémités de la pyramide des âges. J'ai lancé, dans ma région, une action spécifique sur le chômage des femmes de plus de 50 ans, notamment pour les faire accéder à des métiers considérés comme non traditionnellement "féminins" grâce à un chèque formation de 1.000 euros par femme, qui leur permet de choisir les modules de formation correspondant à leur besoin plutôt que de les bloquer dans des filières toutes faites qui ne débouchent pas. Elles peuvent ainsi négocier avec l'entreprise, en fonction de leur bilan de compétences, ce dont elles ont besoin. C'est un travail de longue haleine mais qui porte ses fruits. Je les encourage à créer leur activité, en leur disant qu'à tout âge on peut réinventer sa vie. Elles peuvent avoir 10.000 euros pour créer une petite activité (commerce, artisanat, services, services à la personne, etc.) Et ça marche !

Janine F. : Quelles sont vos intentions concernant les jeunes : école, université, apprentissage, chômage… Pensez-vous que l’université prépare bien à la vie active ?

Ségolène_Royal : Pour les jeunes, il faut développer les parcours d'accès à la vie active avec des contrats de professionnalisation, développer l'apprentissage pour les jeunes de l'enseignement supérieur qui se sont engagés dans des filières sans issue. 40 % des étudiants sortent de l'université sans diplôme : c'est un gâchis insupportable. Je crois qu'il faut être plus directif lors de l'orientation, car c'est dans l'intérêt même des jeunes de ne pas être "bernés" par des promesses sans lendemain. Pour les jeunes très défavorisés, la suppression des parcours TRACE a été une grave erreur. Il faudra rétablir quelque chose d'équivalent. Enfin, il faut régler le problème du logement des jeunes et développer massivement les cités universitaires ouvertes également aux jeunes travailleurs. Là aussi, je suis pour la décentralisation de ce chantier aux régions.

ASIC : Bonjour, vous allez proposer de rendre obligatoire, pour un salarié, l'adhésion à un syndicat. Je comprends bien la finalité : donner plus de représentativité aux syndicats et apaiser le dialogue social. Cependant ne pensez-vous que cette obligation soit anti-démocratique voir dictatoriale ? Sinon, pourquoi ne pas imposer d'adhérer à un parti politique (certainement plus représentatifs de la diversité d'opinion que les syndicats) ? Ou alors, pourquoi ne pas créer un syndicat neutre, qui s'engagerait à n'avoir aucun avis et qui accepterait les adhésions de tous ceux qui ne souhaitent pas adhérer aux autres syndicats ?

Ségolène_Royal : Il y a deux problèmes auxquels il faut répondre : si l'on veut que le contrat entre les salariés, les entreprises et l'Etat prenne le pas sur la loi, alors il faut des syndicats qui ont de nombreux adhérents pour peser dans la négociation et pour permettre, quand c'est nécessaire, des convergences. C'est l'intérêt de la France. Cela éviterait de s'enliser dans des conflits tels que le CPE, car, avec un syndicalisme fort, jamais le gouvernement ne se serait obstiné de cette façon. Dans certains pays, l'adhésion est quasi obligatoire, au sens où elle est couplée avec l'assurance chômage ou l'assurance sur les accidents du travail. C'est ainsi qu'en Suède, le taux de syndicalisation est de 80 %. Contre 8 % en France. Et le chômage y est inférieur à 5 % ! Je crois que c'est lié... et que les entreprises ont compris qu'un syndicalisme fort permettait aussi d'établir des accords intelligents, permettant aux entreprises d'aller de l'avant tout en étant responsables socialement. Le débat est ouvert. Il faudra le traiter avec les organisations syndicales, qui estiment que c'est aussi en donnant plus d'utilité au syndicalisme qu'on développera les adhésions. Il faut aussi regarder la légitimité électorale, qui est plus importante que le taux de syndicalisation. Et, en effet, on se rend compte que lorsqu'il y a un enjeu, les salariés viennent voter. Il faut donc renforcer les obligations annuelles de négocier dans les entreprises.

raymond : Dans le programme socialiste, j'entends parler ici ou là d'une augmentation de la CSG ou de l’impôt sur le revenu. Qu’en est-il exactement ? Etes-vous pour une fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG ? Peut-on les augmenter sans risque pour l’économie ?

Ségolène_Royal : Le projet du PS prévoit la fusion de l'impôt sur le revenu et de la CSG pour donner de la visibilité et de la cohérence au prélèvement fiscal. Ce n'est pas une réforme facile à faire, puisque l'avantage de l'impôt sur le revenu, c'est qu'il est progressif. Je pense qu'il faudra surtout transférer de l'impôt national vers les régions et les départements, en leur demandant de rendre des comptes sur les services rendus. Il y a là, à mon avis, une source importante de lutte contre les gaspillages, les double-emplois, les circuits de financement opaques. 1 euro dépensé doit être 1 euro utile. Des plans de lutte contre les gaspillages doivent être réalisés tous les ans. Enfin, si l'on veut que les citoyens acceptent mieux l'impôt, il faut faire du budget participatif. C'est à dire faire voter sur une partie de l'utilisation de l'impôt. Je le fais dans les lycées de la région : les gens sont à la fois économes, judicieux dans le choix de la dépense, et généreux quand il le faut.

andré beltran : La loi Fillon prévoit un " rendez-vous " sur les retraites en 2008. Comment un gouvernement de "gauche" y ira-t-il ? Durée de cotisation à revoir ? Négociation pour les métiers pénibles ? Suppression de la décote ? Pour le privé, peut-on revenir sur la réforme Balladur ?

Ségolène_Royal : La mise à jour de la réforme des retraites doit se faire en tout état de cause avec le maintien du système par répartition. Des injustices ont été commises par la réforme "Raffarin", notamment à l'égard des femmes et des salariés qui ont eu des interruptions d'activité. Vous avez vu que les pays voisins allongent les durées de cotisation de façon très inquiétante, notamment en Grande-Bretagne, où l'on parle de cotisations allant jusqu'à 46 ou 47 ans de durée : c'est à cause de l'effondrement du système des fonds de pension anglais. C'est dire à quel point notre système par répartition est précieux et qu'il faut l'aménager à la marge pour le préserver ! Il faudra intégrer la pénibilité et l'espérance de vie comme critères pour moduler la durée de cotisation. Là aussi, c'est un débat constructif avec les représentants des salariés qui permettra, j'en suis sûre, de déboucher sur des solutions solides.

Rahamia : Quelle serait la politique du logement d'une Ségolène présidente ?

Ségolène_Royal : Le projet du Parti Socialiste est très précis sur cette question cruciale : un "bouclier logement" sera institué pour limiter le coût des loyers à 25% des revenus des ménages modestes et moyens, grâce à la revalorisation des aides et à la création d'un vaste secteur privé subventionné. J'ai parlé plus haut du chantier concernant le logement des jeunes, que l'on pourrait confier aux régions. Il faut aussi maîtriser la spéculation sur le foncier. Je le fais dans ma région, en ayant mis en place avec la Caisse des Dépôts un fonds qui permet aux communes d'acheter des terrains pour construire des logements locatifs : la région paye les taux d'intérêts. Les terrains peuvent être gelés pendant 4 ans. C'est efficace.

Elie Arié : Avant la mondialisation, la social-démocratie fonctionnait par la redistribution des richesses ( impôts et sécurité sociale, essentiellement). Aujourd’hui, le pouvoir d'achat de tous les Européens est voué à diminuer rapidement : nos grandes entreprises sont destinées à être rachetées par la Chine et l' Inde, avec qui nous ne pourrons jamais être compétitifs. À partir de là, quel socialisme, quelle social-démocratie, quelle redistribution des revenus dans un contexte d'appauvrissement général ? Quelle marge de manoeuvre pour le politique, à part la répartition de l’appauvrissement de façon plus ou moins égalitaire ?

Ségolène_Royal : Mais pourquoi ce fatalisme ?! Nous avons la capacité non seulement à résister, mais aussi à conquérir. Il faut d'abord créer des pôles industriels à taille européenne. Il faut développer les pôles de compétitivité. Enfin, il faut investir massivement dans l'innovation et dans la recherche. Nous avons la capacité de relever tous ces défis, de réconcilier les Français avec les entreprises, de développer l'esprit de conquête et celui d'entreprendre. Un exemple qui va vous amuser, mais qui est très sérieux : la charentaise, fabriquée dans ma région, a failli être totalement délocalisée en Chine. J'ai réuni les 5 dernières entreprises qui la fabriquaient en leur disant qu'il n'en était pas question. Elles se sont secouées, ont relooké leur charentaise… qui désormais s'exporte au Japon ! Pour les encourager, j'ai passé un marché pour équiper tous les élèves des internats de la région, à la prochaine rentrée, pour un montant de 80.000 euros. Je ne désespère pas d'équiper les élèves de toutes les régions de France et, pourquoi pas, de toute l'Europe. Et après... les Chinois ! ;-)

Ségolène_Royal : Je vous remercie tous pour ce dialogue. Venez le poursuivre sur www.desirsdavenir.org. A bientôt.


source:
http://www.chatconf.com/chat/lesechos/s_310679


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