11 mai 2006
Au nom de quelles valeurs conduire la politique ?
Ségolène Royal : Où avez-vous vu que nous allions augmenter les impôts ? Aujourd'hui, plus de deux familles sur trois voient leur pouvoir d'achat diminuer : hausse des charges locatives, qui constituent souvent un second loyer, hausse du prix du logement, hausse du prix des carburants, et de plus en plus de salariés tombent dans le surendettement. Les fonds sociaux des établissements scolaires explosent car, maintenant, des familles à revenus moyens ont du mal à joindre les deux bouts. Des jeunes salariés habitent dans les mobil-homes et des petits retraités ne font plus qu'un repas par jour. Voilà ce que je vois dans ma permanence d'élue. La paupérisation des jeunes est en voie d'accélération.
"MAÎTRISER LE COÛT DU LOGEMENT"
Le chantier est donc considérable. Il faut l'aborder par plusieurs bouts. La maîtrise du coût du logement par le contrôle du prix du foncier. Les investissements massifs dans le logement locatif dont les familles pourraient devenir propriétaires au bout d'un temps de paiement des loyers sans incident. Un équipement massif en énergies renouvelables gratuites, notamment énergie solaire. Et, bien évidemment, le déblocage de la machine économique pour permettre des créations d'activités et d'emplois et une hausse des bas salaires.
Goret : Etes-vous contre le fait de revaloriser le travail ? La gauche est-elle prête à renoncer à cette politique qui favorise l'assistanat, conduisant à la montée des rancœurs dans notre société ?
Ségolène Royal : C'est la droite qui a dévalorisé le travail, en le précarisant. Notre mission, à gauche, c'est de valoriser le travail en permettant à chacun et chacune d'accéder à un métier et de garder un salaire en cas de mutation économique. C'est une question de sécurité et de dignité. Il faut trouver une nouvelle donne, "un bon deal" entre l'agilité dont ont besoin les entreprises exposées à la concurrence internationale et la sécurité de revenus à laquelle a droit toute personne qui travaille ou qui perd son travail.
Mohamed : Je suis ingénieur français, je paie plus de 4 000 euros d'impôts sur le revenu et je n'ai pas le droit d'entrer en boîte de nuit. Comment voulez-vous qu'on se sente français ? Si vous êtes élue en 2007, que ferez-vous pour que cesse la discrimination flagrante ?
Ségolène Royal : Cette discrimination est sanctionnée par la loi. Signalez les boîtes en question à la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde). Il y a un énorme travail à faire contre toutes les discriminations, notamment celles à l'embauche. Je souhaite aussi que tous ceux qui sont victimes de discrimination trouvent en cette injustice la rage de vaincre, de créer, d'entreprendre, de prendre des initiatives car toute cette énergie, la France en a besoin. Je le dis aussi aux femmes victimes de discriminations et, moi-même, j'y ai trouvé la volonté farouche d'avancer.
DISCRIMINATIONS : "JE SOUTIENS DANS MA RÉGION LES INITIATIVES EN MATIÈRE DE CV ANONYMES"
Je soutiens dans ma région les initiatives en matière de CV anonymes, et, en contrepartie des aides publiques, les entreprises doivent prouver le respect des lois. J'ai observé que les jeunes des quartiers [défavorisés] avaient très peu accès aux aides économiques pour créer leur activité (les bourses-tremplins). Je suis allée voir. Ils m'ont dit que ce n'était pas pour eux. J'ai dit : "si, la région va venir vers vous pour vous aider à créer vos activités". J'ai mis en place un chapiteau itinérant dans les quartiers avec toutes les aides de la région. Et maintenant, les jeunes viennent. Dans trois mois, je ferai le bilan de tout ce qu'ils ont créé : commerces, services, informatiques, mécaniques, culture..., y compris les filles.
Clément : Madame Royal, les responsables politiques mettent de plus en plus en avant leur vie privée pour afficher des valeurs au nom desquelles ils gouvernent et qui s'appliqueraient à eux-mêmes. Pensez-vous que cette évolution est positive ou doit-on s'en méfier ?
Ségolène Royal : Je pense que les gens n'ont que faire de la vie privée des hommes politiques. Ce qu'ils veulent, ce sont des responsables politiques à l'écoute, efficaces, honnêtes et simples.
Marie : Quels sont vos projets concernant l'Université en France ? Pensez-vous qu'il soit pertinent de laisser autant de bacheliers s'orienter dans des filières sans débouchés ? Que proposez-vous pour pallier ce problème ?
Ségolène Royal : 40 % des étudiants sortent de l'université sans aucune qualification. C'est un gaspillage et un désespoir, en particulier pour les parents modestes qui avaient fondé beaucoup d'espoir dans l'accès à l'enseignement supérieur de leurs enfants en faisant beaucoup de sacrifices financiers. Cela ne peut pas durer. Il y a un problème d'orientation au départ, et on voit que les filières professionnalisées débouchent plus facilement sur des emplois (IUT, BTS, formations supérieures par alternance, apprentissage dans l'enseignement supérieur). Il faut donc, sans assujettir l'Université au monde de l'entreprise, tenir compte des débouchés et faire évoluer les contenus.
UNIVERSITÉS : "ARRÊTER D'ENGAGER LES JEUNES DANS DES IMPASSES"
Par ailleurs, il faut arrêter d'engager les jeunes dans des impasses. Par exemple, tous les étudiants qui se sont engagés dans la voie de l'enseignement à la suite d'une publicité du gouvernement pour aller dans ces carrières sont aujourd'hui pris dans une souricière car la droite a taillé de façon scandaleuse dans le nombre de postes d'enseignants mis au concours. Il faudra des engagements sur plusieurs années pour que les jeunes en début de cursus sachent le nombre de postes à leur sortie. C'est valable aussi pour les chercheurs.
Marieke : Vous vous engagez pour une certaine rénovation de la vie politique. Mais on peut noter que vous cumulez aujourd'hui deux mandats très lourds : la présidence de région en Poitou-Charentes et votre siège de députée des Deux-Sèvres. N'est-ce pas contradictoire ?
Ségolène Royal : Vous avez raison.... même si j'ai accédé à la présidence de région en ayant déjà mon mandat de députée, que je ne veux pas abandonner, justement, en cours de mandat. Mais, aujourd'hui, la question se pose puisque c'est maintenant que nous devons déposer nos candidatures pour les prochaines législatives. La loi autorise aujourd'hui le cumul de deux mandats. Je suis donc actuellement dans le cadre de cette loi. Mais, dans le programme du Parti socialiste, il y a le non-cumul de mandat entre un exécutif local important et un mandat parlementaire.
"J'AI DÉCIDÉ DE RESPECTER AVANT L'HEURE LE PRINCIPE DU NON-CUMUL"
J'estime, malgré mon attachement profond à ce mandat de député, que les électeurs m'ont renouvelé sans discontinuer dans les Deux-Sèvres depuis 1988, qu'il faut à un moment être cohérent entre ce que l'on s'apprête à dire et ce que l'on fait. J'ai donc décidé de respecter avant l'heure ce principe du non-cumul et de transmettre le flambeau de ma circonscription en continuant à y veiller de très près depuis la région, qui est le mandat que je garde. Je crois que la cohérence est une valeur politique de première importance, et c'est pourquoi je le fais.
Lola : Etes-vous pour un service minimum dans les services publics ? Estimez-vous normal qu'un pays soit paralysé par le personnel d'une entreprise publique en grève ?
Ségolène Royal : Je crois que c'est surtout le déficit de dialogue social qui pose problème. Personne ne fait grève de gaité de cœur, d'abord parce qu'on perd son salaire et qu'à un moment où le pouvoir d'achat régresse (voir plus haut), personne ne peut se permettre de perdre du salaire. Donc, il faut des relations sociales solides pour éviter les grèves et le désordre pour les usagers.
Poney64 : Si vous gagnez la présidentielle, comment constituerez-vous votre gouvernement ? Y aura-t-il des accords avec DSK, Fabius et Emmanuelli ou bien ferez-vous appel à des têtes neuves ?
Ségolène Royal : Je m'interdis de "faire des plans sur la comète". Par déontologie, je m'abstiens de toute anticipation sur des événements qui ne sont pas encore arrivés. Nous verrons. Chaque chose en son temps. Ce qui compte dans toute activité de leadership, c'est la capacité à rassembler les talents et les compétences, d'où qu'ils viennent, les imaginations comme les expériences. Puis de faire la synthèse de ces diversités, de fixer le cap, de tracer la route et de rester en capacité permanente d'écoute et d'adaptation par rapport aux citoyens qui détiennent aussi tous une part d'expertise légitime. C'est ce que j'explique sur mon site desirsdavenir.org, sur lequel je vous invite à venir construire ensemble la France qui se tire vers le haut et qui a confiance en elle et en son énergie.
Chat modéré par Constance Baudry et Isabelle Mandraudsource:
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