10 mai 2006

 

Les socialistes doivent cesser de dénigrer le seul candidat à gauche capable de battre la droite et Sarkozy en 2007.


Ségolène, charge-toi de tes adversaires...

par Gabriel COHN-BENDIT
QUOTIDIEN : mardi 09 mai 2006

par Gabriel Cohn-Bendit militant de l'éducation.



Vue par Cabu

La candidature à la candidature présidentielle de Ségolène Royal a surpris tout le monde, moi commetous les autres. Même le très averti Alain Duhamel s'est laissé surprendre : son livre sur les présidentiables ne parle pas d'elle. La surprise a été encore plus grande de la voir caracoler en tête des sondages.

Ségolène est sans doute la seule à gauche à pouvoir battre Sarkozy ; c'est, pour moi, la priorité absolue. Car Sarkozy serait, s'il était élu, le président le plus réactionnaire de la Ve République. Il est le représentant d'une droite ultralibérale et sécuritaire, «sûre d'elle-même et dominatrice», aurait dit le général de Gaulle, auquel, tant par sa stature morale que par sa présence physique, il ne peut en rien être comparé. Il y avait des «gaullistes de gauche», mais il n'y aura jamais des «sarkozystes de gauche». Sarkozy n'a d'alliés que sur sa droite : de Villiers se ralliera au deuxième tour et, quoi qu'en dise Le Pen, son électorat votera Sarkozy.

Ecoutez les barrir, les éléphants du PS : Ségolène ne serait qu'une création des médias, les sondages ne prouveraient rien, on ne saurait même pas ce qu'elle pense, et, enfin, la présidence de la République mérite quand même plus qu'une simple femme ! Dans nos démocraties, les médias jouent certes un rôle incontestable, et c'est valable pour tous les candidats. Mais la défaite de Berlusconi nous prouve aussi que les médias ne peuvent pas tout : Lang crache dessus et les fuit comme la peste, c'est bien connu... Si Strauss-Kahn se fait refaire les yeux, c'est pour sa chère Anne Sinclair... Quant à Fabius, s'il se montre avec un chapeau à la Mitterrand, c'est, bien sûr, par pure piété filiale... Basta, tout cela est minable.

Arlette et Besancenot, eux aussi, ne doivent leur succès qu'aux médias. Qui sait ce qu'ils sont vraiment, nos petits trotskistes ? Ce qui intéresse, c'est l'image, l'icône de sainte Arlette et le bon sourire de Besancenot. C'est à eux que Fabius fait les yeux comme Strauss-Kahn, tandis que nos médias les trouvent certes un peu utopiques, mais si sincères, si purs...

Après les médias coupables d'avoir créé Ségolène à partir de rien ou presque, voici que les éléphants, qui se réveillent tous les matins en regardant où ils se situent dans les sondages, barrissent haut et fort que ces sondages ne veulent rien dire, et leurs partisans déclarent même : «On ne se laissera pas imposer Ségolène par les sondages.» Prenant leurs désirs pour des réalités, ils ajoutent : «De toute façon, d'ici un an, cela a le temps de changer !» Sans doute espèrent-ils que la parole du Christ, «les premiers seront les derniers», deviendra vérité électorale. Bien sûr que tout peut changer : une mauvaise campagne comme celle de Jospin en 2002 peut donner des résultats bien différents. Mais au lieu de râler, pourquoi ne pas penser à ce que pourrait être une bonne campagne et, surtout, cesser de se dénigrer entre «petits camarades». Ségolène, charge-toi de tes adversaires, nous nous chargerons de tes amis. Et tes amis seront bien obligés de tenir compte des sondages, s'ils veulent revenir au pouvoir. Mais ils peuvent aussi prendre exemple sur leur partenaire Vert et mettre la machine à perdre en marche.

Autre reproche éléphantesque : Ségolène ne dirait rien. Pourtant, moi, je l'ai entendu dire que Blair ne serait pas le diable (ce que pense aussi Strauss-Kahn, qui, lui, n'ose pas le dire). Ensuite, à propos du combat qui est le mien depuis quarante ans, celui de l'école, elle a dit que le rôle des enseignants n'était pas seulement d'instruire, mais aussi d'éduquer, et qu'il faudrait reposer la question du temps de présence des enseignants dans les établissements scolaires. Quand on est de gauche et qu'on vise la présidence, voilà un courage dont je ne suis pas sûr que Jack Lang, avec qui j'ai pourtant bien travaillé quand il était ministre de l'Education nationale, soit capable en période électorale.

Ségolène se situe au centre gauche, et j'en suis fort aise. J'espère que le programme du PS, contrairement à la motion signée par tous à leur dernier congrès, ira dans ce sens.

Enfin, pour en terminer avec les éléphants, quand je vois Fabius, Strauss-Kahn, Lang et Jospin rouler des mécaniques pour montrer qu'eux ont la stature de chef d'Etat, alors que la petite Ségolène, elle... Là, la moutarde me monte au nez. Dans nos démocraties, il y a une incontestable contradiction entre les qualités pour être désigné candidat par son parti, celles qu'il faut pour faire une bonne campagne et enfin celles nécessaires pour exécuter les fonctions pour lesquelles on est élu. Chirac et Bush ont été de «bons» candidats et de piètres présidents. Jospin aurait pu, peut-être, faire un bon président, mais a été, hélas, un bien piètre candidat. Ce que je demande à Ségolène, c'est de gagner la présidentielle et de ne pas jouer ensuite un rôle «Royal». Il faut en finir avec la fonction monarchique de la présidence de la République. Qu'elle se montre capable, dès aujourd'hui, d'avoir une équipe dont demain, après la lutte interne du PS, les Lang et Strauss-Kahn feront partie, qu'elle pille de suite et sans vergogne leurs meilleures propositions ­ les idées justes ne sont la propriété de personne. Qu'elle fasse de même avec les idées des Verts responsables (ils existent, même si c'est une denrée rare) et de bien d'autres, encartés ou non. Et si des passerelles pouvaient, dès aujourd'hui, être lancées vers l'UDF de Bayrou, qui s'est courageusement démarqué de la droite, la France entrerait dans une nouvelle ère politique.

Pour être cohérent et faire en sorte que Ségolène soit désignée candidate, je vais, à 70 ans, signer un contrat nouvel encartement (CNE) au PS, contrat à durée (très) déterminé (CDD). Bien sûr, ce texte voudrait donner à d'autres l'envie de faire de même, et si je ne peux pas, à mon âge et après cinquante ans de vie politique et de multiples encartements, signer un contrat premier encartement (CPE), j'appelle les jeunes à le faire. Je serais heureux qu'un de mes derniers combats politiques permette l'accession d'une femme à la tête de la République française, qui reste encore très «machiste».



source:

http://www.liberation.fr/page.php?Article=380474


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